Est-il envisageable de travailler à la mise en place de nouveaux outils de gestion et de promotion de la filière bois et de la forêt française ?
Question adressée à M. le ministre de l'agriculture, de
l'agroalimentaire et de la forêt
Monsieur le président, madame la
ministre, mes chers collègues, la Nièvre dispose d'une ressource forestière
abondante sur plus de 225 000 hectares. Le taux de boisement global du
département est de 33 %. Les forêts nivernaises sont composées de 180 000
hectares de feuillus dont l'essence majoritaire est le chêne - plus de 66 % -
et de 45 000 hectares de résineux, en majorité des douglas plantés dans la
seconde moitié du XXe siècle.
Élue d'un département pour lequel la forêt
est un bien précieux et la transformation du bois un axe majeur de
développement économique, je souhaite aujourd'hui vous interpeller, madame la
ministre, sur la nécessité de recréer les outils destinés à mettre en œuvre une
politique forestière moderne et ambitieuse. Deux rapports viennent d'être
présentés au Gouvernement ; ils sont destinés à alimenter la partie du futur
projet de loi d'avenir sur l'agriculture consacrée à la forêt.
Je salue ici le travail de M. Jean-Yves
Caullet, qui propose un certain nombre de pistes destinées à sortir la forêt
française de l'« immobilisme » dans lequel elle stagnait ces dernières années,
ainsi que le travail de la mission interministérielle menée par Christophe
Attali, dont le rapport intitulé Vers une filière intégrée de la forêt et du
bois prévoit l'élaboration d'un plan national de la forêt et du bois, qui
serait la clef de voûte des instruments d'orientation et de conduite de la
politique nationale forestière.
Madame la ministre, le Fonds forestier
national, ou FFN, fonds d'État, a été supprimé par la loi d'orientation sur la
forêt du 9 juillet 2001. Il était destiné à permettre une gestion plus
dynamique des forêts françaises et à aider la filière bois à se développer en
encourageant le reboisement et en désenclavant les forêts grâce à un meilleur
accès des engins de débardage. Il était alimenté par une taxe fiscale et, en tant
que compte spécial du trésor, il échappait à l'annualité budgétaire. Cette taxe
était versée par les exploitants forestiers et le commerce de première
transformation du bois.
Durant cinquante ans, ce fonds, outil
essentiel d'une politique forestière nationale stratégique, a parfaitement
répondu aux objectifs qui lui étaient assignés : extension forestière - plus de
2 millions d'hectares ont été plantés dont 1,5 million appartient à des
propriétaires privés -, développement de pépinières forestières, de routes, de
pistes et de cloisonnements permettant une exploitation plus rapide et rentable
des forêts, mise en place de système de défense contre les incendies,
développement des métiers de la forêt.
Toutefois, des effets pervers se sont
également fait sentir : la recherche d'une rentabilité maximale, couplée à un
système d'aides spécifiques, a fortement privilégié résineux et peupliers dans
beaucoup de régions françaises, créant un déséquilibre entre feuillus et
résineux au détriment d'une biodiversité naturelle et indispensable. Le Morvan
en est un exemple : il a connu un fort enrésinement dans la seconde moitié du
XXe siècle ; sa ressource arrive à maturité et la disponibilité en
résineux dans cette région reste supérieure à un volume de 1,1 million de mètres
cubes jusqu'en 2040.
L'exploitation actuelle de cette ressource
ne s'effectue pas dans des conditions acceptables : les coupes rases,
l'artificialisation des forêts et leur fragmentation écologique, aggravées par
un exode rural non négligeable, sont à déplorer et menacent nos forêts
actuelles. Aujourd'hui, alors que des plantations arrivent à maturité, ces «
forêts de rendement » font l'objet d'une exploitation massive dans un contexte
caractérisé par l'absence préjudiciable de moyens de contrôle et de réglementation.
La question du repeuplement, du renouvellement de la ressource, des conditions
de replantation et de l'équilibre des essences reste par ailleurs posée. Depuis
2001, aucune politique forestière n'a réellement été engagée, ni même pensée.
L'engagement de l'État en faveur de la
forêt française est indispensable ; il ne s'était jamais démenti, s'appuyant,
entre autres, sur des outils fiscaux et des subventions spécifiques. Ces
outils, comme le FFN en son temps, constituaient des leviers efficaces
permettant de développer une politique forestière durable.
Madame la ministre, est-il envisageable de
travailler à la mise en place de nouveaux outils de gestion et de promotion de
la filière bois et de la forêt française - comme le « fonds forestier stratégique
carbone », proposé par les acteurs du secteur -, basés sur des financements
alternatifs appuyés sur les nouveaux enjeux économiques et environnementaux
liés à la forêt française ?
Je souhaiterais également savoir si de
telles orientations seront inscrites dans le projet de loi d'avenir pour
l'agriculture, l'agroalimentaire et la forêt, en préparation.
M. le président. La parole est à Mme la
ministre déléguée.
Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée
auprès du ministre du redressement productif, chargée des petites et moyennes
entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique. Madame la sénatrice,
je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser M. Stéphane Le Foll, retenu
ce matin au conseil d'administration de FranceAgriMer.
Le Fonds forestier national a été un
formidable outil de rénovation de la forêt française entre 1946 et 2000, qui a
permis le boisement de plus de deux millions d'hectares de terres abandonnées
par l'agriculture et l'amélioration de la desserte. L'accent mis sur les
résineux a certes modifié le paysage, mais la France reste un pays de feuillus
avec 71 % de sa surface couverte par ces essences.
Les boisements réalisés grâce au FFN
alimentent aujourd'hui une filière industrielle très dynamique, répondant à la
demande de l'aval qui porte essentiellement sur des sciages résineux. Les
actions d'animation territoriale - chartes forestières de territoire et plans
de développement de massif - qui touchent un quart de la forêt privée portent
sur le renouvellement de ces boisements qui arrivent à maturité et sont
exploités, de façon à les remplacer par des peuplements mieux adaptés aux
nouvelles conditions climatiques et plus riches du point de vue
environnemental.
Les nombreux défis auxquels la forêt
française doit faire face sont liés à des demandes économiques, écologiques et
sociales de plus en plus appuyées, notamment du fait de la prise de conscience
de la place de la forêt et du bois dans la lutte contre l'effet de serre :
multifonctionnalité et gestion durable des forêts, intégration des forêts et du
bois dans l'économie du carbone, préservation de la biodiversité, défense de
l'emploi et aménagement du territoire sont autant de fonctions à développer.
Atteindre ces objectifs suppose, en
premier lieu, d'assurer la pérennité de la forêt française par le
renouvellement et l'amélioration des peuplements, en prenant en compte les
conséquences du changement climatique. La constitution d'un outil financier
capable de porter cette politique d'adaptation de la forêt française est donc
un préalable.
Lors de la conférence environnementale des
14 et 15 septembre 2012, le Président de la République a annoncé, dans la
feuille de route pour la transition écologique, le lancement immédiat d'une
mission conjointe du ministère de l'écologie, du développement durable et de
l'énergie, du ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt
et du ministère du redressement productif, pour la création d'un fonds «
bois-carbone » et d'un « comité national filière bois ». Il s'agissait
notamment d'étudier la possibilité de mettre en place des financements
alternatifs appuyés sur l'économie du carbone.
Le rapport de cette mission, remis
récemment, se prononce pour la constitution d'un plan national de la forêt et
du bois et la création d'un « fonds stratégique forêt-bois ». La mission
confiée par le Premier ministre à M. Jean-Yves Caullet, député de l'Yonne, sur
la forêt française et la filière bois conclut dans les mêmes termes.
Cet enjeu est donc bien identifié et fait
l'objet de travaux pour sa mise en œuvre dans le projet de loi d'avenir pour
l'agriculture, l'agroalimentaire et la forêt, actuellement en préparation.
Parmi les six axes d'action du volet forestier de ce projet annoncés par le
ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, lors du Conseil
supérieur de la forêt, des produits forestiers et de la transformation du bois
du 6 mai dernier, figure la mise en place d'un fonds stratégique forêt-bois et
de son comité de gestion.
Les discussions en cours visent à mettre
en place les conditions d'alimentation de ce fonds par diverses sources
budgétaires, fiscales et de fonds de concours, de façon à redonner à la
politique forestière des moyens en adéquation avec les défis qu'elle doit et
souhaite relever.
M. le président. La parole est à Mme Anne
Emery-Dumas.
Mme Anne Emery-Dumas. Je tiens à remercier
Mme le ministre de ces informations, espérant que nous obtiendrons satisfaction
lors de la présentation de la loi d'orientation.