Examen de la
proposition de loi n° 7 (2013-2014)
visant à reconquérir l’économie réelle
visant à reconquérir l’économie réelle
Intervention
en séance de Mme Anne EMERY-DUMAS, rapporteure
Mardi 4 février 2014
Monsieur
le président,
Monsieur
le ministre,
(Madame
la présidente)
Messieurs
les rapporteurs pour avis,
Mes
chers collègues,
La
commission des affaires sociales soumet à l’examen du Sénat le texte qu’elle a
adopté le 29 janvier dernier.
Déposée
par le groupe socialiste, le groupe écologiste et le groupe radical,
républicain, démocrate et progressiste de l’Assemblée nationale, la proposition
de loi visant à reconquérir l’économie réelle vient parachever une longue
réflexion des groupes de la majorité parlementaire, qui a débuté en février
2012 avec la proposition de loi tendant à garantir la poursuite de l'activité
des établissements viables.
Certains
ont pu s’interroger, parfois avec humour, sur l’intitulé même de la
proposition de loi.
Je leur
répondrai simplement que reconquérir l’économie réelle ne signifie rien d’autre
que lutter contre la financiarisation de l’économie,
refuser la fatalité des fermetures abusives de sites rentables et favoriser, à chaque fois que cela est possible leur
reprise pour préserver l’activité économique et l’emploi sur nos territoires.
Reconquérir l’économie, c’est aussi s’opposer
aux stratégies court-termistes à l’origine de
prises de risques excessifs et de
renforcer la stratégie à long terme de nos entreprises en les préservant des
opérations financières prédatrices. Cet objectif, j’en suis sûre, nous le
partageons toutes et tous sur ces bancs, quelles que soient nos orientations
politiques, car si la proposition de loi répond en
effet à un engagement du candidat Hollande, elle ne me paraît pas en opposition
avec la volonté affirmée par son prédécesseur dans son 1er discours
de Toulon quand il indiquait que « l’idée de la toute-puissance du marché
qui ne devait être contrarié par aucune règle, par aucune intervention
politique, était une idée folle. »
Comme
vous le savez, le texte dont nous allons débattre, comporte
deux grands volets.
Le
premier est consacré à la reprise d’entreprise, et plus particulièrement à la
recherche d’un repreneur pour les entreprises employant plus de 1000 salariés
qui envisagent de fermer un site rentable. C’est ce dispositif qui a justifié
la compétence au fond de notre commission, car il découle directement de
l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 et de la loi de
sécurisation de l’emploi que nous avons
examinée en mars dernier.
L’essentiel de ce premier volet vise à associer étroitement,
employeur, salariés et pouvoirs publics pour organiser un dialogue social
permanent sur le devenir de l’établissement, avant et pendant toute la phase de
recherche d’un repreneur.
Le
second volet est dédié aux mesures en faveur de l’actionnariat de long terme, il comporte essentiellement des mesures pour
renforcer la législation sur les offres publiques d’acquisition. La création
d’une procédure d’information et de consultation du comité d’entreprise en cas
d’OPA constitue une mesure importante, qui a conforté la légitimité de notre
commission à traiter de ce texte.
Ceci
dit, compte tenu de la diversité et de la technicité des autres sujets abordés
dans le texte, trois commissions se sont saisies pour avis. Je profite d’ailleurs
de cette occasion pour saluer le travail de nos collègues rapporteurs pour avis
Jean-Marc Todeschini, de la commission des finances, Félix Desplan, de la
commission des lois, et Martial Bourquin, de la commission des affaires
économiques.
Je ne
souhaite pas, à ce stade, entrer plus en détail
dans la présentation des différents articles, mais je voudrais vous présenter
les principales modifications apportées au texte en commission.
Nous
avons veillé à conserver les grands équilibres du texte élaboré par les
députés, sous la houlette du président Brottes et de la rapporteure Clotilde
Valter, tout en sécurisant juridiquement certains dispositifs, notamment au
regard des normes constitutionnelles, et en rendant d’autres
plus opérationnels.
L’essentiel
de nos débats a naturellement porté sur l’article
1er. Afin d’éclairer la notion
de site rentable, les entreprises soumises à une procédure de conciliation ou
de sauvegarde ne seront pas concernées par cet article.
Désormais,
ce seront donc toutes les entreprises visées à l’article VI du code de commerce
qui seront exclues du dispositif, et non plus
seulement celles en redressement ou en liquidation judiciaires. Un seuil de 50
salariés (par référence au seuil d’obligation de mise
en place d’un comité d’entreprise) a également été réintroduit pour les
établissements dont la menace de fermeture impose la recherche d'un repreneur.
Surtout, la commission a
élargi les cas de motifs légitimes de refus de cession par l'employeur. Il est
en effet apparu que la rédaction issue de l’Assemblée nationale semblait beaucoup trop restrictive, en prévoyant un
seul et unique motif légitime de refus d’une offre de cession, à savoir la mise
en péril de l’ensemble de l’activité de l’entreprise, qui
dans les faits pourrait s’apparenter à une obligation de cession. Une
telle disposition semblait peu compatible avec la jurisprudence du Conseil
constitutionnel en matière de respect de la liberté d’entreprendre et de droit
de propriété, d’autant que la procédure de recherche de repreneur s’applique à
des entreprises in bonis.
C’est
pourquoi la commission a souhaité ouvrir la liste des cas de motif légitime de
refus, sous le contrôle du tribunal de commerce.
Ainsi,
l’employeur pourra désormais se fonder sur la mise en péril d’une partie de
l’activité de son entreprise pour refuser une offre sérieuse de reprise, ou décliner
une offre présentée à un prix manifestement sous-évalué.
La
commission a également relevé de 15 jours à 1 mois le délai fixé au tribunal de
commerce pour statuer sur le respect des obligations de recherche d'un
repreneur et éventuellement le sanctionner. Elle a également supprimé
l’obligation faite à la Direccte de suspendre sa décision d’homologation du
plan de sauvegarde de l’emploi, car cette procédure est en droit totalement
indépendante de celle menée devant le tribunal de commerce.
La
commission a enfin prévu une application des nouvelles règles pour tous les
plans de sauvegarde de l'emploi engagés à compter du 1er juillet prochain.
Nous n’avons pas souhaité modifier le contenu de l’article 3 qui vise
à renforcer l’information des salariés sur la possibilité de reprendre leur
entreprise en redressement judiciaire. les
possibilités de reprise de l’activité par les salariés .
La
commission n'a pas rétabli l'article 4,
qui prévoyait d'abaisser le seuil de déclenchement d'une offre publique
d'acquisition (OPA) de 30 à 25 % du capital ou des droits de vote, compte tenu
des nombreuses objections qui étaient faites à cette mesure.
A l'article 4 bis, sur proposition de notre
collègue Jean-Marc Todeschini, elle a tempéré les conséquences de la caducité
d'une offre publique d'acquisition pour les actionnaires qui détiennent moins
de 30% du capital ou des droits de vote. A travers le nouvel article 4 ter
A, elle a également pris en compte la situation des actionnaires qui
bénéficient de la clause transitoire instaurée par la loi de régulation bancaire et financière du 22
octobre 2010, également appelée « clause de grand-père ».
Toujours
sur proposition du rapporteur pour avis de la commission des finances, elle a
aménagé la clause transitoire relative à l'abaissement du seuil de 2 à 1 % du
mécanisme dit de l'excès de vitesse prévu à l'article 4 ter .
Elle a
instauré, à l'article 5, une clause
de rendez-vous périodique pour les assemblées générales des sociétés cotées qui
ont refusé de mettre en place des droits de vote double, afin qu'elles abordent
cette question au moins une fois tous les deux ans.
A l'article 6, la commission a obligé le
tribunal de grande instance, saisi par le comité d'une entreprise faisant
l'objet d'une OPA, à demander des conclusions écrites de l'Autorité des marchés
financiers. Elle a en outre apporté divers aménagements à la procédure devant
le tribunal pour éviter un allongement excessif du calendrier des offres.
Par
exemple, le TGI jugera en premier et dernier ressort, le comité d’entreprise ou
l’employeur pouvant néanmoins se pourvoir en cassation.
Au
final, le texte proposé apparaît comme un compromis entre le souci de donner de
nouvelles prérogatives au comité d'entreprise
et le souhait de ne pas allonger de manière excessive le calendrier des offres
publiques.
A l'article 7, la commission a prévu que
les PME non cotées pourront également, à l'instar des sociétés cotées,
distribuer jusqu'à 30 % d'actions gratuites à l'ensemble des salariés.
A l’article 8, sur proposition du
rapporteur pour avis de la commission des finances, la commission a tiré les
conséquences, s'agissant des mesures déléguées par l'assemblée générale, de la
suppression du principe de neutralité des organes de gouvernance en période
d'OPA.
Ainsi,
la suspension des mesures déléguées par l’assemblée générale d’une société qui
est la cible d'une OPA ne s'appliquera pas si la société initiatrice de l'offre
n'est pas elle-même soumise au principe de neutralité ou à des mesures
équivalentes. La commission a également prévu les conditions dans lesquelles
les statuts d'une entreprise cotée pouvaient réintroduire ce principe de
neutralité.
Sur
proposition du rapporteur pour avis de la commission des finances, la
commission a inséré l’article 8 ter, qui prévoit que l’entrée en vigueur de
l’article 4 ter sur l’abaissement du seuil de l’excès de vitesse, de l’article
6 sur la procédure d’information et de consultation du comité d’entreprise en
cas d’OPA et de l’article 8 sur le principe de neutralité des organes de
gouvernance, est fixée trois mois après la promulgation de la loi. Ce délai
permettra à l’AMF de modifier en toute sérénité son règlement général.
Enfin, l'article 9, qui posait des règles strictes
en matière d'urbanisme pour protéger les sites et installations industriels, a
été supprimé, suite à l'adoption de deux amendements identiques présentés par
la commission des lois et la commission des affaires économiques. Le débat en commission
a en effet montré que cet article était l’objet de nombreuses critiques. Sans lien
direct avec l'objet de la proposition de loi, il introduisait des lourdeurs
excessives qui allaient à rebours de la volonté des pouvoirs publics de
desserrer les contraintes en matière d'urbanisme, et ne correspondait pas à la
philosophie du projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové que
notre Assemblée a examiné la semaine dernière.
* *
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Je
voudrais dire un mot sur les amendements que nous proposera tout à l’heure notre
collègue Félix Desplan, le rapporteur pour avis de la commission des lois. La
plupart d’entre eux visent à refonder la procédure de vérification et de
sanction devant le tribunal de commerce prévue à l’article 1er et ont
déjà été présentés lors de nos travaux en commission. Nous n’avons malheureusement
pas été en mesure de les adopter mercredi dernier, mais nous avons pu profiter
du délai supplémentaire qui nous était imparti pour approfondir notre réflexion
et éclaircir quelques points techniques. Le résultat final nous semble
satisfaisant, puisqu’au-delà d’évidentes améliorations rédactionnelles, les
amendements de la commission des lois sécurisent la procédure devant le
tribunal de commerce, en renforçant notamment les droits de la défense et le
principe de légalité des peines. C’est pourquoi notre commission leur a donné
un avis favorable (à
modifier le cas échéant).
* *
*
Je voudrais
avant de conclure dissiper quelques malentendus et critiques que j’estime
infondées.
Tout
d’abord, je ne considère pas que ce texte soit incompatible avec le Pacte de responsabilité que vient de
présenter le Président de la République. Car je le répète, l’article 1er
ne poursuit qu’un seul but : sanctionner les fermetures manifestement
abusives de sites rentables. La proposition de loi complète
les dispositions de la loi de sécurisation de l’emploi en la matière et met
ainsi en œuvre l’engagement n°35 du candidat François Hollande de lutter contre
les licenciements boursiers en renchérissant leur coût et en donnant la
possibilité aux salariés de saisir le tribunal dans les cas manifestement
contraires à l’intérêt de l’entreprise. Il n’y a pas là à mes yeux
contradiction entre cet engagement et le Pacte de responsabilité, mais continuité
et respect de la promesse qui a été faite devant les Français.
Ensuite,
le dispositif proposé à l’article 1er
ne me semble pas imposer de lourdeur injustifiée aux entreprises. Il
permettra de sanctionner sévèrement les abus mais avec discernement, sous le
contrôle d’un juge impartial, sans créer de contraintes inutiles pour les
autres entreprises. Je rappelle que seules sont concernées les entreprises qui
emploient plus de 1000 salariés, et que dans l’immense majorité des cas les employeurs
cherchent à céder leurs sites plutôt que de les fermer et les laisser à
l’abandon. La sanction ne devrait concerner peut-être qu’un petit nombre de cas par an, même s’il est difficile
de faire des estimations en la matière. L’objectif de ce texte est précisément
de lutter contre ces quelques cas de fermetures abusives, qui, si elles sont peu nombreuses n’en sont pas moins
lourdes de conséquences sur l’emploi et le devenir économique de nos
territoires et de nos bassins d’emploi. Face à ces situations inadmissibles,
les responsables politiques ont le devoir de refuser le fatalisme en matière
économique.
Par
ailleurs, certains craignent que la
sanction ne soit pas suffisamment dissuasive lorsqu’il s’agit de fermetures
d’établissement qui dépendent de grandes multinationales. Il est vrai que
lorsqu’une entreprise est prête à accorder des indemnités de licenciement de
plus de 200 000 euros à certains salariés dans le cadre d’un plan de
sauvegarde de l’emploi, une sanction plafonnée à 20 Smic (soit 28 907
euros bruts) par emploi supprimé peut paraître bien modeste. Mais il n’est pas
possible de relever ce plafond sans remettre frontalement en cause le droit de
propriété et la liberté d’entreprendre, c’est pourquoi
le choix de nos collègues députés qui s’est fixé sur une pénalité équivalente
au doublement du coût moyen d’un PSE, nous a semblé raisonnable. Les
marges de manœuvre sont étroites, car nous devons en permanence trouver un
équilibre entre, d’une part, l’impératif de préserver l’emploi et, d’autre
part, le respect du droit de propriété et de la liberté d’entreprendre. Je
forme le vœu que le texte que nous vous proposons y soit parvenu.
Enfin,
j’estime que les deux volets du texte,
loin d’être indépendants l’un de l’autre, sont complémentaires et se renforcent
mutuellement. Certaines mesures auront des conséquences à court-terme,
d’autres à moyen et long terme. On ne peut pas lutter contre les fermetures
injustifiées de sites rentables sans se pencher sur les règles de gouvernance
de nos entreprises cotées. L’automaticité du droit de vote double est riche de
promesse, à la fois pour insuffler une nouvelle dynamique dans les assemblées
générales de nos entreprises, mais également pour offrir de nouvelles marges de
manœuvre à l’Etat actionnaire. Bien entendu, la présente proposition de loi n’a
pas vocation, à elle seule, à mettre un terme aux excès de la financiarisation
de l’économie, nul n’oserait le prétendre aujourd’hui, mais elle marquera une
étape importante dans le renforcement de notre législation.
En conclusion, je souhaite que cette
proposition de loi puisse être adoptée par le Sénat.
Je vous
remercie.