Vous trouverez ci-dessous, le texte de mon intervention au Sénat hier .
LA
SITUATION DES SAISONNIERS EN FRANCE
DEBAT
DU MARDI 27 JANVIER 2015
Le sujet de débat qui
nous est proposé par le groupe CRC est en réalité très vaste.
Qui sont les
travailleurs saisonniers ? On estime qu’ils sont au nombre d’environ
1 300 000 chaque année.
La plupart sont
employés dans l’agriculture et dans l’hôtellerie-restauration et dans des
activités liées au tourisme et aux périodes de vacances scolaires.
En agriculture par
exemple, on observe que les personnes qui se présentent pour effectuer les
travaux de cueillette ou de vendange ne sont plus, depuis déjà plusieurs
années, des jeunes qui veulent gagner un peu d’argent pour s’offrir des
vacances. De plus en plus, ils sont remplacés par des chômeurs de longue durée
et des personnes en difficulté : précaires, retraités...
Et de quels
travailleurs saisonniers parle-t-on ?
S’agit-il de
saisonniers de nationalité française, de ressortissants de l’Union européenne
en situation de travailleurs détachés, ou de ressortissants
extra-européens ?
Ainsi, on estime que
dans le secteur agricole, le nombre de salariés détachés d’Etats récemment
membres de l’Union européenne a grimpé de 1000% entre 2004 et 2012.
Quel est leur contrat
de travail ? Sont-ils sous contrat de travail saisonnier, avec ou non une
clause de renouvellement triennal ?
Certains salariés qui
devraient être employés sous CDD ne sont-ils pas abusivement sous contrat
saisonnier afin d’éviter frauduleusement à leur employeur de leur payer la
prime de précarité ? Cela n’expliquerait-il pas que l’on en trouve de plus
en plus dans des secteurs d’activité divers ?
Certains peuvent
aussi être sous CDI intermittent comme par exemple de nombreux saisonniers du
thermalisme en application d’un accord d’octobre 2014, ou de salariés
d’entreprises qui ont des productions liées à des activités saisonnières. Je
pense notamment Monsieur le Ministre aux ouvrières d’une entreprise de
fabrication de fixations de ski de mon département, dont je vous ai déjà exposé
la situation précaire.
Quelles sont les
conditions de logement et de transport de ces salariés? Le droit à la
formation est-il respecté ? Bénéficient-ils d’une surveillance médicale
appropriée ?
Parviennent-ils à
remplir les conditions pour obtenir le remboursement des frais de santé ?
En effet, le
droit au remboursement des soins
implique de justifier
- avoir travaillé au moins 120 heures, ou
avoir cotisé sur un salaire au moins égal à 120 fois le montant du SMIC
horaire, pendant trois mois civils ou un trimestre
- ou avoir travaillé au moins 400 heures,
ou avoir cotisé sur un salaire au moins égal à 400 fois le montant du SMIC
horaire, pendant une année civile.
Pour percevoir des indemnités journalières, il faut :
- avoir travaillé au moins 200 heures au cours des trois
mois civils ou des 90 jours précédant l'arrêt de travail
- ou avoir cotisé sur un salaire au moins égal à 1 015
fois le montant du SMIC horaire au cours des six mois civils
Pour
de nombreux saisonniers, il n’est pas toujours facile d’apporter la preuve que
ces conditions sont remplies, a fortiori s’ils sont étrangers.
Quels seront les
droits à pension de retraite de salariés qui auront été saisonniers durant 20
ou 30 ans ? Parviendront-ils même à bénéficier de l’ASPA s’ils ne résident
plus sur le territoire national ?
Quel est enfin le
nombre de travailleurs saisonniers étrangers, soit qui repartent dans leur
pays, soit qui restent en France et alimentent un triste vivier de journaliers
clandestins exploités ?
Manifestement, le
sujet est protéiforme et complexe, tant en pratique que sur le plan juridique.
Bien
évidemment, le droit du travail français s’applique à toutes ces catégories,
dès lors que le travail est effectué sur le territoire national.
Il n’en demeure pas
moins que la justice est régulièrement saisie des conditions de travail et de
logement scandaleuses infligées à des travailleurs saisonniers, surtout
étrangers et donc jugés moins à même de se défendre par leurs employeurs.
A travers ces
quelques observations, on voit bien que les difficultés des saisonniers sont
nombreuses, et que celles rencontrées par les saisonniers d’origine étrangère
sont encore plus graves et appellent un traitement spécifique.
Il est donc
nécessaire que l’inspection du travail exerce pleinement son rôle par des
contrôles inopinés et assez nombreux dans les secteurs qui emploient des
saisonniers en nombre. La réforme en cours de l’inspection du travail doit
aboutir à ce renforcement des contrôles avec l’intervention de groupes dédiés.
Sur le plan
législatif, nous avons en juin 2014 adopté la Loi "visant à lutter contre
la concurrence sociale déloyale". Elle renforce les contrôles et les
sanctions contre les entreprises qui recourent de manière abusive à des
travailleurs détachés.
A la suite du rapport
de notre collègue Eric Bocquet, ce texte que j’ai eu l’honneur de rapporter devant
le Sénat, est issu d’une proposition de loi socialiste de Gilles Savary.
Il a traduit en droit
français, par anticipation, le compromis européen qui avait été trouvé pour renforcer
la Directive travailleurs détachés de 1996, sujet de nombreuses fraudes.
Nous avons donc
accompli un premier pas important. Je rappelle en quelques mots les principales
mesures :
· Extension
de l'obligation de vigilance de l'entreprise, traitant avec un prestataire de
services établi hors de France, par la vérification du dépôt de la déclaration
de détachement auprès des services de l'inspection du travail.
· Responsabilité
solidaire du donneur d'ordre ou du maître d'ouvrage pour le paiement des
salaires des employés des sous-traitants.
· Possibilité
pour le juge d'inscrire sur une « liste noire » les entreprises et les
prestataires de services condamnés à au moins 45 000 euros d'amende pour
travail illégal.
· Possibilité
pour les associations, les syndicats professionnels et les syndicats de
salariés de se constituer partie civile
Il nous faut
maintenant aller plus loin, particulièrement en ce qui concerne les
travailleurs étrangers saisonniers non ressortissants de l’Union européenne.
La France dispose
depuis la Loi du 24 juillet 2006 de la carte de séjour temporaire spécifique
« travailleur saisonnier », destinée aux étrangers titulaires d’un
contrat de travail saisonnier qui s’engagent à maintenir leur résidence
habituelle hors de France.
La loi a mis en place
ce titre de séjour là où il n’y en avait généralement pas : souvent, le contrat
de travail faisait office de titre de séjour. Il est valable trois ans, mais ne
permet à son titulaire de séjourner en France que pendant la période des
travaux saisonniers et au maximum six mois sur douze.
Et le contrat de
travail proposé doit être supérieur à trois mois pour obtenir la
« CST-Travailleur saisonnier ». De son côté, l’employeur est supposé
fournir la preuve de sa recherche infructueuse de candidat sur le marché du
travail en France. Des attestations lui sont fournies par Pôle emploi.
L’obtention de ce
titre ne suffit cependant pas à préserver l’ensemble des droits sociaux :
en effet l’obligation de retour dans le pays d’origine peut faire obstacle au
bénéfice de l’assurance maladie. Les droits à la retraite sont aussi difficiles
à reconstituer le moment venu.
A l’échelon européen,
le Parlement a adopté le 5 février 2014 par 498 voix pour dont celle du groupe
socialiste, 56 contre et 68 abstentions la première directive de l’Union
européenne relative à l’emploi de travailleurs étrangers saisonniers non
ressortissants de l’Union.
Le Conseil a adopté
le texte le 17 février. Il doit être transposé dans les deux ans et demi par
les Etats membres. Il aura tout de même
fallu quatre ans pour parvenir à un accord.
La question qui se
pose aujourd’hui à nous en tant que législateur est celle de la transposition
et de ses termes.
Que dit cette
directive ? Essentiellement ceci :
Pour entrer sur le
territoire de l’UE en vue d’y occuper un emploi saisonnier, plusieurs documents
devront être présentés
Ø Un
contrat de travail valable et une offre d’emploi ferme, précisant notamment le
lieu de travail, la durée d’emploi, la rémunération et le nombre d’heures de
travail hebdomadaire ou mensuel.
Ø La
preuve qu’une demande d’assurance maladie a été présentée ou que cette
assurance a été souscrite
Ø La
preuve qu’un logement adéquat sera fourni. Il devra assurer à la personne des
conditions de vie décentes. Si le logement est fourni par l’employeur, celui-ci
ne pourra exiger un loyer excessif par rapport au revenu du travailleur et à la
qualité du logement. Le loyer ne pourra plus être automatiquement déduit du
salaire du travailleur, ce qui est un point particulièrement important.
Les Etats membres
devront mettre à la disposition des travailleurs étrangers de manière
facilement accessible, les informations sur ces pièces à fournir, ainsi que sur
leur droits, obligations et garanties juridiques. En France, la délivrance de
la CST-travailleur saisonnier » devra donc être accompagnée d’informations
écrites sur ces éléments.
Les Etats membres
devront fixer la durée maximale de séjour qui pourra être comprise entre 5 et 9
mois sur 12 mois.
Durant cette période,
le travailleur saisonnier pourra bénéficier d’une prolongation de séjour pour travailler
avec le même ou un autre employeur.
Pour les séjours
d’une durée inférieure à 3 mois, les Etats membres seront tenus de délivrer un
visa donnant aussi au travailleur saisonnier le droit d’exercer l’activité
professionnelle pour laquelle il a été admis.
Le travailleur
saisonnier étranger bénéficiera des mêmes droits que les ressortissants du pays
d’accueil, en matière d’âge minimum de travail, de salaire, d’horaires, de
congés, de santé et sécurité, de licenciement, de droit de grève et d’activités
syndicales.
Les Etats membres
devront mettre en place des mécanismes de contrôle efficaces en se fondant sur
une analyse des risques.
Cette exigence va
dans le sens que j’indiquais, sur le renforcement des contrôles dans certains
secteurs et chez certains employeurs, ce qui implique un renforcement des
moyens que nous ne cessons au demeurant de demander à tous les gouvernements.
La directive exige
aussi que les Etats membres adoptent des sanctions effectives et dissuasives contre
les employeurs contrevenants.
En cas de manquement
par un sous-traitant, le contractant
principal et tout sous-traitant intermédiaire pourront être tenus solidairement
responsables de l’indemnisation due au travailleur. Ce point est évidemment
fondamental puisque les saisonniers étrangers arrivent en France par l’intermédiaire
d’agences d’intérim installées dans plusieurs pays.
Il importe donc que
cette directive soit transposée rapidement dans notre droit.
Cela ne nous dispense
pas d’une réflexion sur les améliorations possibles dans notre pays.
Il
nous faut notamment nous inspirer des accords collectifs et des actions de
prévention mises en place dans différentes branches, sur divers territoires, en
direction des travailleurs saisonniers.
Je pense notamment à
la création de groupements d’employeurs dans les parcs de loisir ou les
stations de tourisme qui offrent aux saisonniers une fidélisation et des
garanties contractuelles. L’ancienneté après plusieurs saisons peut être prise
en compte.
Les contrats de
professionnalisation peuvent être utilisés pour permettre à des saisonniers
d’obtenir une deuxième qualification pour les intersaisons. De façon générale,
la formation des travailleurs saisonniers est non seulement un droit
pratiquement jamais respecté, mais une nécessité pour la qualité de nos
productions et de nos services.
Sur la question
majeure du logement, la rénovation et la construction de foyers-logements
proches des lieux de travail peut faire l’objet de conventions avec les
bailleurs sociaux.
Ce ne sont là que
quelques exemples qui peuvent alimenter notre réflexion et nos initiatives.
En toute hypothèse,
nous ne pouvons tolérer plus longtemps dans notre pays que des êtres humains,
de nationalité française et de toutes origines soient traités comme ils le sont
parfois.
On a beaucoup dit
récemment que la France est le pays des droits de l’homme. Cela implique pour
nous tous, particulièrement en tant que législateur, de donner à ces formules
un contenu réel.
Le groupe socialiste
accueille avec beaucoup d’intérêt l’initiative de ce débat de la part de nos
collègues et prendra à nouveau toute sa part à l’amélioration des conditions de
vie et de travail des travailleurs saisonniers.