mercredi 28 janvier 2015

LA SITUATION DES SAISONNIERS EN FRANCE


 
 
Vous trouverez ci-dessous, le texte de mon intervention au Sénat hier .
 
 
 
LA SITUATION DES SAISONNIERS EN FRANCE

DEBAT DU MARDI 27 JANVIER 2015

 
Le sujet de débat qui nous est proposé par le groupe CRC est en réalité très vaste.

Qui sont les travailleurs saisonniers ? On estime qu’ils sont au nombre d’environ 1 300 000 chaque année.

La plupart sont employés dans l’agriculture et dans l’hôtellerie-restauration et dans des activités liées au tourisme et aux périodes de vacances scolaires.

En agriculture par exemple, on observe que les personnes qui se présentent pour effectuer les travaux de cueillette ou de vendange ne sont plus, depuis déjà plusieurs années, des jeunes qui veulent gagner un peu d’argent pour s’offrir des vacances. De plus en plus, ils sont remplacés par des chômeurs de longue durée et des personnes en difficulté : précaires, retraités...

Et de quels travailleurs saisonniers parle-t-on ?

S’agit-il de saisonniers de nationalité française, de ressortissants de l’Union européenne en situation de travailleurs détachés, ou de ressortissants extra-européens ?

Ainsi, on estime que dans le secteur agricole, le nombre de salariés détachés d’Etats récemment membres de l’Union européenne a grimpé de 1000% entre 2004 et 2012.

 

Quel est leur contrat de travail ? Sont-ils sous contrat de travail saisonnier, avec ou non une clause de renouvellement triennal ?

Certains salariés qui devraient être employés sous CDD ne sont-ils pas abusivement sous contrat saisonnier afin d’éviter frauduleusement à leur employeur de leur payer la prime de précarité ? Cela n’expliquerait-il pas que l’on en trouve de plus en plus dans des secteurs d’activité divers ?

Certains peuvent aussi être sous CDI intermittent comme par exemple de nombreux saisonniers du thermalisme en application d’un accord d’octobre 2014, ou de salariés d’entreprises qui ont des productions liées à des activités saisonnières. Je pense notamment Monsieur le Ministre aux ouvrières d’une entreprise de fabrication de fixations de ski de mon département, dont je vous ai déjà exposé la situation précaire.

 

Quelles sont les conditions de logement et de transport de ces salariés? Le droit à la formation est-il respecté ? Bénéficient-ils d’une surveillance médicale appropriée ?

Parviennent-ils à remplir les conditions pour obtenir le remboursement des frais de santé ?

En effet, le droit  au remboursement des soins implique de justifier

  •  avoir travaillé au moins 120 heures, ou avoir cotisé sur un salaire au moins égal à 120 fois le montant du SMIC horaire, pendant trois mois civils ou un trimestre
  • ou avoir travaillé au moins 400 heures, ou avoir cotisé sur un salaire au moins égal à 400 fois le montant du SMIC horaire, pendant une année civile.

Pour percevoir des indemnités journalières, il faut :

- avoir travaillé au moins 200 heures au cours des trois mois civils ou des 90 jours précédant l'arrêt de travail

- ou avoir cotisé sur un salaire au moins égal à 1 015 fois le montant du SMIC horaire au cours des six mois civils

 

Pour de nombreux saisonniers, il n’est pas toujours facile d’apporter la preuve que ces conditions sont remplies, a fortiori s’ils sont étrangers.

 

Quels seront les droits à pension de retraite de salariés qui auront été saisonniers durant 20 ou 30 ans ? Parviendront-ils même à bénéficier de l’ASPA s’ils ne résident plus sur le territoire national ?

Quel est enfin le nombre de travailleurs saisonniers étrangers, soit qui repartent dans leur pays, soit qui restent en France et alimentent un triste vivier de journaliers clandestins exploités ?

 

Manifestement, le sujet est protéiforme et complexe, tant en pratique que sur le plan juridique.

Bien évidemment, le droit du travail français s’applique à toutes ces catégories, dès lors que le travail est effectué sur le territoire national.

 

Il n’en demeure pas moins que la justice est régulièrement saisie des conditions de travail et de logement scandaleuses infligées à des travailleurs saisonniers, surtout étrangers et donc jugés moins à même de se défendre par leurs employeurs.

 

A travers ces quelques observations, on voit bien que les difficultés des saisonniers sont nombreuses, et que celles rencontrées par les saisonniers d’origine étrangère sont encore plus graves et appellent un traitement spécifique.

 

Il est donc nécessaire que l’inspection du travail exerce pleinement son rôle par des contrôles inopinés et assez nombreux dans les secteurs qui emploient des saisonniers en nombre. La réforme en cours de l’inspection du travail doit aboutir à ce renforcement des contrôles avec l’intervention de groupes dédiés.

 

Sur le plan législatif, nous avons en juin 2014 adopté la Loi "visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale". Elle renforce les contrôles et les sanctions contre les entreprises qui recourent de manière abusive à des travailleurs détachés.

A la suite du rapport de notre collègue Eric Bocquet, ce texte que j’ai eu l’honneur de rapporter devant le Sénat, est issu d’une proposition de loi socialiste de Gilles Savary.

Il a traduit en droit français, par anticipation, le compromis européen qui avait été trouvé pour renforcer la Directive travailleurs détachés de 1996, sujet de nombreuses fraudes.

 

Nous avons donc accompli un premier pas important. Je rappelle en quelques mots les principales mesures :

·       Extension de l'obligation de vigilance de l'entreprise, traitant avec un prestataire de services établi hors de France, par la vérification du dépôt de la déclaration de détachement auprès des services de l'inspection du travail.

·       Responsabilité solidaire du donneur d'ordre ou du maître d'ouvrage pour le paiement des salaires des employés des sous-traitants.

·       Possibilité pour le juge d'inscrire sur une « liste noire » les entreprises et les prestataires de services condamnés à au moins 45 000 euros d'amende pour travail illégal.

·       Possibilité pour les associations, les syndicats professionnels et les syndicats de salariés de se constituer partie civile

Il nous faut maintenant aller plus loin, particulièrement en ce qui concerne les travailleurs étrangers saisonniers non ressortissants de l’Union européenne.

 

La France dispose depuis la Loi du 24 juillet 2006 de la carte de séjour temporaire spécifique « travailleur saisonnier », destinée aux étrangers titulaires d’un contrat de travail saisonnier qui s’engagent à maintenir leur résidence habituelle hors de France.

La loi a mis en place ce titre de séjour là où il n’y en avait généralement pas : souvent, le contrat de travail faisait office de titre de séjour. Il est valable trois ans, mais ne permet à son titulaire de séjourner en France que pendant la période des travaux saisonniers et au maximum six mois sur douze.

Et le contrat de travail proposé doit être supérieur à trois mois pour obtenir la « CST-Travailleur saisonnier ». De son côté, l’employeur est supposé fournir la preuve de sa recherche infructueuse de candidat sur le marché du travail en France. Des attestations lui sont fournies par Pôle emploi.

 

L’obtention de ce titre ne suffit cependant pas à préserver l’ensemble des droits sociaux : en effet l’obligation de retour dans le pays d’origine peut faire obstacle au bénéfice de l’assurance maladie. Les droits à la retraite sont aussi difficiles à reconstituer le moment venu.

 

A l’échelon européen, le Parlement a adopté le 5 février 2014 par 498 voix pour dont celle du groupe socialiste, 56 contre et 68 abstentions la première directive de l’Union européenne relative à l’emploi de travailleurs étrangers saisonniers non ressortissants de l’Union.

Le Conseil a adopté le texte le 17 février. Il doit être transposé dans les deux ans et demi par les Etats membres. Il aura tout de même fallu quatre ans pour parvenir à un accord.

La question qui se pose aujourd’hui à nous en tant que législateur est celle de la transposition et de ses termes.

 

Que dit cette directive ? Essentiellement ceci :

Pour entrer sur le territoire de l’UE en vue d’y occuper un emploi saisonnier, plusieurs documents devront être présentés

Ø Un contrat de travail valable et une offre d’emploi ferme, précisant notamment le lieu de travail, la durée d’emploi, la rémunération et le nombre d’heures de travail hebdomadaire ou mensuel.

Ø La preuve qu’une demande d’assurance maladie a été présentée ou que cette assurance a été souscrite

Ø La preuve qu’un logement adéquat sera fourni. Il devra assurer à la personne des conditions de vie décentes. Si le logement est fourni par l’employeur, celui-ci ne pourra exiger un loyer excessif par rapport au revenu du travailleur et à la qualité du logement. Le loyer ne pourra plus être automatiquement déduit du salaire du travailleur, ce qui est un point particulièrement important.

Les Etats membres devront mettre à la disposition des travailleurs étrangers de manière facilement accessible, les informations sur ces pièces à fournir, ainsi que sur leur droits, obligations et garanties juridiques. En France, la délivrance de la CST-travailleur saisonnier » devra donc être accompagnée d’informations écrites sur ces éléments.

Les Etats membres devront fixer la durée maximale de séjour qui pourra être comprise entre 5 et 9 mois sur 12 mois.

 

 

Durant cette période, le travailleur saisonnier pourra bénéficier d’une prolongation de séjour pour travailler avec le même ou un autre employeur.

Pour les séjours d’une durée inférieure à 3 mois, les Etats membres seront tenus de délivrer un visa donnant aussi au travailleur saisonnier le droit d’exercer l’activité professionnelle pour laquelle il a été admis.

Le travailleur saisonnier étranger bénéficiera des mêmes droits que les ressortissants du pays d’accueil, en matière d’âge minimum de travail, de salaire, d’horaires, de congés, de santé et sécurité, de licenciement, de droit de grève et d’activités syndicales.

Les Etats membres devront mettre en place des mécanismes de contrôle efficaces en se fondant sur une analyse des risques.

Cette exigence va dans le sens que j’indiquais, sur le renforcement des contrôles dans certains secteurs et chez certains employeurs, ce qui implique un renforcement des moyens que nous ne cessons au demeurant de demander à tous les gouvernements.

La directive exige aussi que les Etats membres adoptent des sanctions effectives et dissuasives contre les employeurs contrevenants.

 

En cas de manquement par un sous-traitant, le contractant principal et tout sous-traitant intermédiaire pourront être tenus solidairement responsables de l’indemnisation due au travailleur. Ce point est évidemment fondamental puisque les saisonniers étrangers arrivent en France par l’intermédiaire d’agences d’intérim installées dans plusieurs pays.

Il importe donc que cette directive soit transposée rapidement dans notre droit.

Cela ne nous dispense pas d’une réflexion sur les améliorations possibles dans notre pays.

Il nous faut notamment nous inspirer des accords collectifs et des actions de prévention mises en place dans différentes branches, sur divers territoires, en direction des travailleurs saisonniers.

Je pense notamment à la création de groupements d’employeurs dans les parcs de loisir ou les stations de tourisme qui offrent aux saisonniers une fidélisation et des garanties contractuelles. L’ancienneté après plusieurs saisons peut être prise en compte.

Les contrats de professionnalisation peuvent être utilisés pour permettre à des saisonniers d’obtenir une deuxième qualification pour les intersaisons. De façon générale, la formation des travailleurs saisonniers est non seulement un droit pratiquement jamais respecté, mais une nécessité pour la qualité de nos productions et de nos services.

 

Sur la question majeure du logement, la rénovation et la construction de foyers-logements proches des lieux de travail peut faire l’objet de conventions avec les bailleurs sociaux.

Ce ne sont là que quelques exemples qui peuvent alimenter notre réflexion et nos initiatives.

En toute hypothèse, nous ne pouvons tolérer plus longtemps dans notre pays que des êtres humains, de nationalité française et de toutes origines soient traités comme ils le sont parfois.

On a beaucoup dit récemment que la France est le pays des droits de l’homme. Cela implique pour nous tous, particulièrement en tant que législateur, de donner à ces formules un contenu réel.

Le groupe socialiste accueille avec beaucoup d’intérêt l’initiative de ce débat de la part de nos collègues et prendra à nouveau toute sa part à l’amélioration des conditions de vie et de travail des travailleurs saisonniers.

 

 

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